“The kidnappings” : les enfants ukrainiens déportés en Russie à la une de “Time”

La une de l’édition datée du 28 juillet 2025 du magazine américain “Time”.

Un enfant, de dos, avance seul dans un champ doré aux herbes hautes. Autour de lui, des épis de blé, du barbelé, et dans le ciel, comme une ombre, se dessine la silhouette d’un visage adulte, peut-être celui qui l’a enlevé, peut-être celui qui l’attend encore. Time remet en avant une question largement absente des discussions internationales, tout en titrant “The kidnappings” (“Les enlèvements”) à la une de son édition à paraître le 28 juillet, dont l’article principal est déjà en ligne.

Le 4 juin à Moscou, le président russe, Vladimir Poutine, tient une visioconférence avec ses ministres. Parmi les nombreux sujets abordés, dont la récente attaque de drones ukrainiens sur plusieurs bases aériennes russes, un document attire brièvement l’attention : une liste de 339 enfants, remise à la délégation russe lors des pourparlers avec l’Ukraine à Istanbul. “Ces enfants prétendument enlevés, lâche le négociateur russe Vladimir Medinski, ont été sauvés par nos soldats et évacués sous les tirs.” Avant d’ajouter en feuilletant le document : “Nous allons devoir chiffrer combien il y en a ici, chez nous.” Le président russe, lui, ne réagit pas. Et la réunion se poursuit.

19 546 enfants enlevés

Depuis le début de la guerre, 19 546 mineurs ont été déportés en Russie, selon les autorités ukrainiennes. Si environ 1 200 d’entre eux ont pu revenir, grâce aux efforts de familles et des ONG, les autres se retrouvent “rééduqués” sous de nouveaux noms, élevés dans des familles russes et exposés à l’endoctrinement et à la propagande russes. “Ils lui ont fait croire que l’Ukraine était détruite, qu’il mourrait de faim s’il revenait”, témoigne Kseniia Koldin, dont le petit frère Serhii, 11 ans, a refusé de parler à ses proches à son retour d’un foyer russe.

“Ils lui ont complètement lavé le cerveau.”

Cette politique, que la Cour pénale internationale (CPI) qualifie de “crime de guerre”, a valu à Vladimir Poutine un mandat d’arrêt en mars 2023 pour “transfert illégal d’enfants”. Mais à Moscou, la décision est traitée avec indifférence. “La Haye [la CPI], il lui crache dessus, confie à Time un proche du Kremlin. Il rendra peut-être les enfants dans le cadre d’un échange humanitaire. Poutine, ce n’est pas Staline. Mais franchement, ce n’est pas une grande priorité pour lui.”

Parmi les cas les plus emblématiques, celui de Margarita Prokopenko, orpheline de Kherson, emmenée en Russie après l’occupation de la ville, en 2022. Time revient sur son histoire, rapportant qu’elle aurait été adoptée par un député pro-Kremlin. En décembre 2024, à l’ONU, la conseillère du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, Daria Zarivna, dénonce le sort de Margarita, à qui on a donné la nouvelle identité de Marina Mironova, et prévient :

“Si nous ne faisons pas revenir rapidement ces enfants, le système russe va réussir à les retourner contre nous.”

Le retour de ces enfants est vital pour l’Ukraine, confrontée à une urgence démographique majeure : la population ukrainienne est passée de 41 à 32 millions d’habitants depuis le début de l’invasion russe, en février 2022, et l’ONU prévoit qu’elle pourrait chuter à 15 millions d’ici à la fin du siècle.

Alors que les négociations de paix se poursuivent, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, insiste dans les pages de Time : “Ils [les enfants] ne peuvent pas faire l’objet d’un échange. Ce n’est pas comme des esclaves qu’on rachèterait.” Selon lui, seule une pression directe sur Vladimir Poutine – diplomatique, militaire ou judiciaire – pourra faire bouger les lignes.